Musées : Bayonne / Guéthary - 1990

Les Meules 1989

 

"LE MODE DE LA JOIE ET DE LA VARIATION"

 

Qu'est-ce qu'une meule, pour Monet d'abord, mais aussi pour Pissarro, Van Gogh ou Emile Bernard ? Essentiellement un motif privilégié pour l'étude des formes dans la lumière. Monet cherche à saisir les « effets » éphémères du matin, de l'après-midi et

du soir selon les différentes saisons, respectant scrupuleusement la position du soleil à l'instant représenté grâce à la longueur des ombres portées sur le sol...

Qu'est-ce-qu'une meule, pour Martine Mougin ? si l'on croit les titres des oeuvres, elle serait à la fois fantôme et matière, arche et sillon, femelle et mamelle...mais jamais simple prétexte pour l'étude des impressions produites par les variations de la lumière. Martine Mougin n'emprunte nullement l'un des thèmes de prédilection des impressionnistes; elle s'empare d'un type particulier d'objet : la meule de fougères du pays-Basque, dont l'architecture singulière, construite à partir d'une perche centrale, se retrouve en Serbie et en Hongrie. Cette meule éveille en elle, non des impressions visuelles, mais des sensations et des souvenirs.

 

Martine Mougin photographie les meules et les retravaille ensuite à a peinture. Bleues ou jaunes (rarement bleues et jaunes), elles se répartissent en plusieurs types de formes : car leur style est d'abord celui que leur ont donné les paysans des différents lieux.

Au pays-Basque, presque chaque village a sa propre manière de planter les meules, et d'installer en leur sommet la motte de terre qui les protègera de la pluie.

Bleu-jaune : les couleurs qui, mêlées, donneraient le vert de la fougère à l'instant où elle est amassée ( avec le temps elle change naturellement de couleur). Mais Martine Mougin ne mélange pas les couleurs : ce dont il est question est la mise en place d'un système formel constitué d'oppositions rigoureusement agencées, comme celles qui introduisent une forme d'un blanc cru sur un fond sombre ( « meules américaines, par référence à une technique cinématographique bien connue) ou celles qui, par exemple, jouent de l'ambiguité organique de la meule-femme et de la perche-phallus.

Comme Alberto Moravia, dont elle cite une phrase tirée «  A propos de l'amour conjugal », Martine Mougin a choisi d'observer les meules la nuit, au moment « où » la lune luminait et détachait leur masse sur le fond obscur et vide « Au moment où » leur disposition inaccoutumée, leur aspect monumental faisait oublier leur nature véritable ...*

Tel est le paradoxe de la peinture : ou bien, avec Monet, elle scrute la nature «  véritable des choses au risque de se perdre en elles. Ou bien elle ne retient des choses que ce qui fait oublier leur nature véritable, et nous renvoie alors à autre chose, qui ne les dépasse et qui ne peut -être dit que par le moyen de la peinture.

 

Ce n'est nullement par hasard que Martine Mougin a choisi ces meules particulières- après tout, pour commencer, n'est-elle pas née elle même au pays-Basque ? mais elle est trop peintre pour en rester à l'illustration d'une anecdote. Monet, en se rapprochant maniaquement du sujet, franchissait une limite et faisait naître la possibilité d'une peinture autre – celle-là qu'entrevit pour la première fois Kandinsky en 1895 devant la « meule » envoyée à l'exposition des impressionnistes de Moscou.

Marine Mougin appartient aujourd'hui à la génération des peintres qui prennent des chemins relativement complexes ( par exemples ceux qui passent par le relais de la photographie) pour franchir la même limite, mais en sens inverse pourrait-on dire, et insérer l'anecdote dans une totalité qui l'absorbe et dont, seul décidément, l'art a le pouvoir de rendre compte.

Elle le fait avec une autorité et une originalité qui tiennent à sa faculté de mêler indissociablement les procédés qu'elle invente et le plaisir des découvertes auxquelles-ces procédés lui ont donné accès : ce que Robert Motherwell a appelé naguère « le monde de joie et de variation » en le séparant bien de l'autre expérience impliquée selon lui dans le processus pictural «  le monde de découverte et de production ».

L'oeuvre récente de Martine Mougin ne sait-elle pas une tentative réussie d'instauration d'un mode de production comme mode de joie et de variation ?

 

Jean Luc Chalumeau

 

Catalogue Musée de Guéthary mars 1989 / Opus international  

 

 

"DE TRUCULENTS OBJETS...DES ANIMAUX HUMAINS TRANSCENDANTAUX..."

 

Impossible de ne pas voir dans ces formes coniques dressées par la main de l'homme, un pouvoir que le temps amplifie de présences spectrales ou célestes, tels des guerriers-héros qui veilleraient de mille feu follets crissants et brissants sur les âmes des villageois endormis.

Martine Mougin en scientifique éveillée, en chasseuse de coléoptères, tend sa loupe et tente de s'enfoncer dans ce mystère vibrant. Attentive chercheuse, elle capte les « états », les en-de ça, d'une matière quelque peu insondable. Tout comme les laborantines qui , lors de leurs recherches chromosomiques, colorent la partie soumise à l'analyse, Martine Mougin se sert du jaune, voulant par là-même souligner qu'il s'agit bien de matière vivante, irradiée de ce feu solaire quasi-empreint de mysticité. (ce n'est pas un hasard si les meules, en forme de mains jointes, sont comme une prière adressée aux Dieux pour qu'ils exaucent les voeux des hommes qui les ont érigées : prière qu'il ne pleuve pas hors saison, que les voleurs ne saccagent pas ces biens amassés...ce n'est pas in hasard non plus si ces formes prennent l'aspect de guerriers...)

Or, tout en tenant compte de l'aspect profondément vital de son sujet, Martine Mougin introduit le Bleu qui n'est pas sans évoquer la Mort. Mort de ces fougères qui , coupées et entassées n n'en finissent pas de bruire et de crisser et qui, dans leur putréfaction en devenir, iront rejoindre le grand cycle de la vie sous et sur terre.

A partir de formes concrètes, présence tragique d'une tradition lointaine, en voie de disparition, Martine Mougin bascule dans le concept de particules en questionnement.

Les dérisoires barrières se trouveront alors chamboulées par la saga nocturne de ces éléments incontrôlables et déchaînes malgré les tentatives de l'artiste-apprentie sorcière pour les maîtriser.

 

Sylvie Reymond-lépine, conservateur

Bellinzona (Tessin), 16 Avril 1989

 

" Meules de Fougères... "(extrait) 1989


Arpentant nombre de montagnes basques, photographiant, par centaines, ces meules, Martine Mougin y a découvert un univers fantomatique, inattendu, saisissant avec une rare finesse les multiples effets de l'action du temps, du vent, de la pluie mais aussi de la lumière et de l'obscurité. Elle les a observées la nuit, à ce moment singulier ou la meule s'efface pour devenir une masse sombre, fantastique, presque inquiétante. on les imagine, le jour, par une envoûtante glissade poétique, comme des mamelles, des divinités ou encore des guerriers impassibles.

Peintre et poète, Martine Mougin, l'est de cette manière qui transfigure de modestes objets en feux célestes. Certes, d'autres avant Martine Mougin, tels Monet ou Van Gogh, ont travaillé sur la meule. Martine Mougin, elle, a choisi de travailler ses photographies de meules avec les couleurs du bleu et du jaune, démultipliant ainsi leur puissance évocatrice.

...ainsi désormais , ces meules de fougères peuplent la lisière du rêve et de la réalité. Demain, lorsque les traces de la civilisation qui les a apportées auront totalement disparu, elles deviendront des souvenirs froids. Il restera alors les meules de Martine Mougin pour refaire un voyage dans le temps.

 

Prof.dr.Pierre Bidart

 

Directeur de l'école doctorale des sciences humaines et sociales

Département d'Anthropologie Université de bordeaux II

Décédé en 2000, à Sofia, où il venait de prendre le poste de conseiller de coopération académique et scientifique.

 

 



 

 

 



 

 

 





 

 




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