Galerie Pierre Nouvion Monaco - 1991

Martine Mougin Réalité et Métamorphose

 

Catalogue exposition Galerie Pierre Nouvion Monaco 1990

 

Festival international «  Nature et Paysage » La Gacilly 2005

 

Quelque chose d'étrange est à l'oeuvre dans les photographies peintes de Martine Mougin qui procède de la dualité de leur nature: elles sont en effet tout à la fois composites et factices. Constituées en polyptyques, elles superposent d'une part des images sans relation de sens immédiatement direct entre elles : de l'autre, elles présentent des plages colorées peintes sur le mode monochrome, dans une platitude matérielle qui confère à l'image une qualité d'application mécanique. Ainsi cette oeuvre s'offre-t-elle à voir d'emblée où précisément elle ne se fonde pas, comme s'il s'agissait tout abord d'entraîner le regard à l'exercice d'une diversion pour l'obliger à revenir sur le terrain et quêter enfin l'exacte intention qui en gouverne le processus de création.

En amont de sa dernière livraison, l'oeuvre de Martine Mougin est jalonnée d'images qui témoignent d'une totale curiosité pour tout ce qui est de l'ordre d'une transformation de paysage. Sa série des Meules en particulier, empruntées à la culture basque, couvertes d'une couleur nuit profonde et mystérieuse, participe d'un étonnement, voire d'un éblouissement, que surenchérit le motif lui même par l'insolite de sa constitution et la puissance de sa charge symbolique. C 'est à l'image de ce genre d'images ready-made, trouvées telles quelles, dans l'incongruité d'une organisation de leurs sens et la surprise d'une métamorphose, que le travail de Martine Mougin s'est développé. Mais alors qu'il n'opérait jusque là qu'une simple saisie du réel pour le subvertir par la couleur et le renverser à l'ordre d'une artificialité iconique, il s'applique désormais à travestir ce réel en recourant au mode d'une association sémantique et formelle.

L'ensemble des images nouvelles que Martine Mougin a constituées ces derniers mois font appel à divers registres dont les termes opposées sont nature et culture et dont les points de convergences s'inscrivent dans une dialectique alternative du plein et du vide. Les plages de couleurs monochromes qui recouvrent la quasi totalité de ses images, laissant seulement en réserve noire et blanche certains détails du motif photographié, agissent comme des écrans de verre coloré destinés à « déréaliser » le sujet. Elles le tiennent à distance d'une connotation littérale en l'immatérialisant, comme on peut en avoir la sensation dès lors que l'on baigne dans une atmosphère uniformément colorée. Ce faisant, l'évidente intention de l'artiste est de désamorcer le sujet de son emprise au réel pour en révéler-s'il s'agit ne l'oublions pas, de photographie avant même que de peinture-une «  vue » secrète et inédite.

L'art de Martine Mougin relève ainsi d'une opération alchimique au sens le plus extrême, voire magique, du mot, d'autant qu'elle tient à taire le secret de ses manipulations et qu'aucune trace, ni aucun signe n'en témoigne. La façon qu'elle a par ailleurs de jouer de combinaisons de toutes sortes dans le montage de ses polyptyques met en évidence ce qu'il en est aujourd'hui de la part composite dans le fondement même de la création. Si cette manière d'opérer s'accorde pleinement à l'intelligence de son temps-du métissage des images publicitaires à la pratique de zapping télévisuel, elle relève avant tout de l'idée que l'acte de création se nourrit des tensions et des situations les plus diverses. Puisées à l'aune d'une relation mémorable de l'espace et du temps, les motifs utilisés par Martine Mougin végétaux exotiques, fûts de colonnes, paysages de mer, de grottes et de cascades, figure planante, etc... mettant en jeu tout un ensemble de signes archétypaux qui font valoir quelque chose d'un ordre premier, sinon primitif. Les titres mêmes de ses oeuvres le soulignent / portraits de famille, la fusion du temps, les mémoires d'Adrien, Orphéon d'amour, etc...qui réfèrent à la diversité de sources tant mythologiques ou littéraires que familières ou incongrues, en tout cas dans un écart de sens, encore une fois, entre l'énoncé et le perçu, quand bien l'un et l'autre sont en fait étroitement lié. L'efficacité plastique des photographies peintes de Martine Mougin le doit à la considérable économie des moyens qu'elle met en oeuvre et à la radicalité signifiante de leur contenu, celui-ci une fois révélé. C'est au terme d'un véritable travail de décantation de l'image que l'artiste opère, se méfiant de tout ce qui risquerait d'en parasiter la lecture. Son art qui tient compte paradoxalement de la première et immédiate impression et de sa potentialité à la rémanence réussit somme toute un paroi difficile / surprendre le regard tout en le contenant pour l'obliger à s'analyser. En cela, il est une invitation à ne jamais conclure à un quelconque épuisement du sens. Parce qu'il va de la réalité d'une incessante métamorphose.


Philippe Piguet



 

 

 




Sources : texte anglais P Piguet.doc