School Gallery, Paris - 2009

Architectures Portuaires

 

Exposition School Gallery 2009

 

Martine Mougin, photographe-plasticienne, nourrit une passion peu commune pour les paysages industriels, et en particulier pour les architectures portuaires, dans lesquels containers, grues et portiques, citernes, pont mobiles ou jetées métalliques s’entremêlent dans un ballet perpétuel et fascinant, lourd et fluide à la fois. Les photographies rehaussées d’encres colorées ou rendues en noir et blanc graphique, présentées à la School Gallery, sont le résultat d’une longue résidence à Rotterdam, notamment à la Foundation Mirta Demare, en 2008, complétés par des clichés pris sur les ports du Havre et de Barcelone.

A Rotterdam, qu’elle connaît bien, elle était d’abord venue pour travailler sur la force du vent, les éoliennes, mais la voici fascinée par le mouvement, la densité et la monumentalité architecturale, les enchevêtrement graphiques des grues et des jetées métalliques, et les signes du fourmillement de l’activité humaine qui règnent sur les grands ports marchands et industriels.

Au-delà de son amour du grand large, de la promesse d’inconnu, d’étrangeté et de lointain qu’augure ce type de lieu, pour elle qui aime tant voyager et découvrir d’autres horizons, au point de passer plusieurs mois, au lendemain de mai 68, derrière le rideau de fer quelque part vers Budapest, le travail de Martine Mougin, très emprunt de sa culture du graphisme et de la peinture, nourrit ainsi une réflexion sur l'industrialisation, la mutation des paysages mais aussi, d’une certain manière, sur la condition humaine contemporaine, dans sa relation ambiguë à la nature.

Car les images de ces énormes containers colorés en transhumance, décalant l’échelle des proportions, ou encore de ces paysages hollandais d’un genre nouveau, dans lesquels la lumière est si particulière qu’on les croirait droits sortis des peintres de La Haye, si ce n’était ces forêts métalliques, posent nécessairement la question de la confrontation, ou de la cohabitation, de l’activité industrielle avec la présence naturelle. Dans le même temps, ces images réactivent la question du sens de la beauté, du « beau paysage », face à ces paysages industriels qu’on trouve généralement d’une grande banalité sinon d’une grande laideur. 

Le travail de védutiste contemporain de Martine Mougin offre une réponse alternative à chacune de ces deux questions.

Son traitement plastique du paysage industriel injecte dans l’image une esthétique à double niveau. En 1969, Bernd et Hilla Becher disaient, à propos de la typologie des bâtiments industriels : « Leur esthétique se caractérise en ceci qu’ils ont été créés sans intention esthétique. ». Martine Mougin, elle, prend le parti de la  « beauté non intentionnelle », d’une beauté involontaire de ces paysages ingrats a priori. Ce faisant elle propose une vision différente du paysage, révélant cette beauté plastique qu’elle perçoit, imposant un œil esthétique là où d’autres –les gens du port, vous, moi - n’y verrions peut-être que zone utilitaire, ou ravage d’un paysage qui fut un jour naturel.

Dans un second temps, elle souligne et renforce cette dimension plastique par un travail pictural d’aplats de couleurs vives. Les couleurs, en transparence, ne saturent pas l’image mais, comme des filtres, la transforment symboliquement sans l’occulter.

Les couleurs, celles du port, celles dont elles rehaussent ses photographies, rendent l’image d’autant plus inhabituelle que les vision de paysages industriels que nous avons à l’esprit se bornent souvent à un camaïeu de gris et de noir, de fumées grasses et de pollutions. Pourtant, fait remarquer l’artiste, les ports regorgent de couleurs, signalétiques rouges, bleus des containers, etc.

Ce parti pris pictural n’est pas sans faire penser à la manière dont Antonioni utilisa la couleur dans son film le Désert rouge, peignant la pellicule « comme on peint une toile ». Dans le film du cinéaste italien, les machines, « avec leur puissance, leur étrange beauté » se substituent à un paysage « naturel », mais, dit Antonioni « Nous ne devons pas avoir la nostalgie d’époque plus primitives en pensant qu’elles offraient à l’homme un cadre plus naturel », autrement dit il n’y a pas d’opposition réelle entre la nature et la civilisation.

Et, de la même manière qu’Antonioni rend, avec la mise en images graphique et picturale du Désert rouge, un hommage au Matisse formel, Martine Mougin, dans ces photos vues comme des compositions graphiques, nous rappelle à De Stijl, à Mondrian pour les couleurs primaires en aplats, associées au blanc et au noir structurant les lignes de la vision colorée. Ces références au graphisme de l’abstraction formelle et à Mondrian ne sont pas des hasards. L’artiste, au début de sa carrière, s’est longuement initiée au dessin, à la gravure, au graphisme et à la peinture ; en outre elle entretient une proximité avec les Pays de l’Est mais aussi et surtout avec les Pays-Bas, entre résidences à Amsterdam ou Rotterdam, voyages d’études et expositions.

Comme Mondrian, Martine Mougin opère cette sorte de confrontation, ce passage, qui est aussi celui de l’histoire de l’art, entre la représentation naturaliste du monde et l’abstraction, le constructivisme, la modernité. Elle transforme le monde concret des containers, des grues, des cargos et des pylônes gigantesques en un univers géométrique, coloré, abstrait.

Bien sûr, en proposant une autre vision du paysage contemporain, Martine Mougin se positionne à contre-courant d’une bien-pensance écologique, d’une pensée « naturaliste » qui voudrait, illusion naïve, qu’il y eut un paysage « naturel », une nature « naturelle » auquel s’opposerait un paysage humanisé et donc, défiguré. Or, si la « nature naturelle » n’existe pas et que le vierge paysage est un mythe, c’est bien parce que le paysage, comme tout objet touché par la main de l’homme, résulte de la transformation du réel à l’image de l’humanité.

Elle met ainsi en exergue l’état de contradiction dans laquelle se trouve toute conscience passée au prisme de la nécessité écologique  contemporaine. Ces grues, ces ponts, ces rouages comme dans « les Temps Modernes », qui chargent, déchargent des marchandises d’une monde entier, ce fourmillement, ces entrelacs de réseaux complexes sont désormais notre décor quotidien, notre monde réel, d’une beauté aussi inquiétante que fascinante.

Et si beauté il y a dans les paysages que Martine Mougin transfigure, ce n’est pas une beauté froide, documentaire, à la Becher ; ce n’est pas non plus une beauté romantique, tourmentée, hugolienne* ; c’est une beauté qui transcende la « monumenta » industrielle pour devenir, enfin, matériau esthétique.

 

Marie Deparis-Yafil, mars 2009

*Lire Victor Hugo- Le Rhin –Lettres à un ami – 1842, pour la description des hauts-fourneaux de la Vallée de la Meuse





 

 

 

 





 

Martine MOUGIN

Exhibition from 1 april to 7 may 2009

 

 The structural treatment of the industrial landscape in Martine Mougin’s photographs evokes a two-sided aesthetic image. In 1969, Bernd and Hella Becher said about the topography of industrial buildings: “Their aesthetic characterizes them, in that they were created with out aesthetic intent.”

 

Martine Mougin uses their “unintentional beauty,” an involuntary beauty that these landscapes invoke a priori. She proposes a different vision of these landscapes, reveling in a physical beauty that she perceives, imposing an aesthetic vision here where others—port workers, you, me—perhaps would see nothing, but this utilitarian zone ravages a landscape which was once natural.

 

In a second sense, she reinforces and emphasizes the structural dimension with the application of bright colors to the works. The colors do not saturate the images, but, like filters, symbolically transform them without concealing them.

 

The colors, both of the port and those enhancing the photographs, render the images all the more unusual in an industrial landscape, which we usually associate with various shades of gray and black, smoke, grease, and pollutants. But, as the artist shows, these ports are truly full of colors: red signals, blue containers, etc...

Extrait du texte de Marie DEPARIS-YAFIL

 




Sources : Aucune